Les laiteries et fromageries industrielles
Une centaine de laiteries a fonctionné dans le département ; certaines d'entre elles, très petites, n'ont été en activité que quelques années. Le canton de Matha comptait par exemple six laiteries au début du XXe siècle ; l'une d'entre elles, celle des Touches-de-Périgny, qui employait quatre personnes, a fermé en 1957 (fig. 1), et la plus grande, celle de Matha, a fermé dans les années 1980, lors de son regroupement avec Surgères. Les 60 laiteries recensées ont conservé un aspect qui rend leur structure d'origine analysable ou restituable ; 34 d'entre elles étaient également des fromageries industrielles. Il convient d'ajouter à ces nombres, les 6 usines de produits alimentaires traitant la caséine, substance contenant l'essentiel des matières azotées du lait, qui pouvait servir à la préparation de colle très employée dans l'industrie du bois contre-plaqué, ou à celle de matières plastiques imitant l'ivoire « la galalithe », ou encore à celle de produits pharmaceutiques et de fromages. De nos jours, seule la caséinerie de Surgères reste en activité. A Saintes, dans le quartier de Courbiac, était installée une usine de galalithe, fermée dès les années 1930. Sur les 60 laiteries étudiées, 44 ont été fondées par des groupements de cultivateurs ; 35 d'entre elles l'ont été entre 1888 et 1900. Seulement 8 des laiteries recensées sont encore en activité (dont celle de Tonnay-Boutonne qui devait fermer quelque temps après notre visite).
Il semble que les trois premières laiteries industrielles privées sont fondées dans le domaine de Fontbouillant à Montguyon par Emile Brusley dans les années 1880, à Marans par la famille Baron en 1881, et à Néré en 1886 par MM. Bouquart, Bonnarme et Cristin. Au total, 16 laiteries ayant été fondées par des particuliers ont été repérées ; 6 d'entre elles ont été créées durant le 4e quart du XIXe siècle, 5 au premier quart du XXe siècle et 5 entre 1925 et 1950. 7 laiteries ont eu le double statut privé et coopératif : 6 d'entre elles, ayant été fondées par des particuliers, ont été par la suite, et parfois très rapidement, revendues à des groupements de cultivateurs. C'est le cas de la laiterie des Châteliers à La Ronde, bâtie en 1889 pour Lucien Boumier, banquier à Fontenay-le-Comte (Vendée) et rachetée, dès 1893, par les agriculteurs de la commune. En revanche, la laiterie coopérative de Germignac a été rachetée en 1939, après une faillite, par des particuliers.
Historique :
En Aunis, jusqu'au phylloxéra, la culture de la vigne arrive au deuxième rang après celle des céréales. Aux alentours de 1875, une certaine évolution vers l'élevage semble s'esquisser : la plus grande partie des terres nouvelles conquises à l'agriculture est transformée en prairies artificielles. Après la crise phylloxérique, vers 1876 pour cette région, et l'échec de la reconstitution du vignoble, l'élevage remplace l'activité de la vigne.
En 1888, à l'initiative d'Eugène Biraud, est fondée la première laiterie coopérative de la région Poitou-Charentes, à Chaillé (La première coopérative laitière française est créée en 1887 à Leschelle (Aisne), cf. Caroline BARRAY. Patrimoine de laiteries ; Ligueil et Verneuil-sur-Indre (Indre-et-Loire), L'Archéologie industrielle en France, revue du CILAC, n° 36, juin 2000, p. 34-40) ; les 60 sociétaires du début de l'année passent très vite à 162. Les appareils à bras deviennent rapidement insuffisants et on doit introduire des moteurs à vapeur. Immédiatement, des nouvelles laiteries se fondent dans les environs. Dès 1889, le mouvement gagne les Deux-Sèvres, département qui n'a pas souffert du phylloxéra et qui depuis longtemps s'adonne à l'élevage. En 1890, il s'étend à la Vendée.
Lors de la création d'une coopérative, un conseil d'administration et un président sont désignés. Dès 1893 est fondée l'Association centrale des laiteries coopératives des Charentes et du Poitou, qui a pour fonction d'améliorer la production, d'étendre les débouchés, de défendre les intérêts des laiteries. Le siège social est fixé à Niort, mais l'administration et les bureaux sont établis à Surgères. Au début, elle réunit une vingtaine de sociétés ; ce nombre s'élève à 60 en 1895, 86 en 1900, et 129 en 1926. En 1897, l'Association centrale obtient la création de l'Inspection des laiteries coopératives de l'Ouest qui est confiée à Pierre Dornic. En 1902, un arrêté ministériel crée la station d'industrie laitière de Surgères. Puis, en 1905, est fondée l'Ecole professionnelle de laiterie de Surgères (fig. 2), qui va permettre de fournir aux laiteries le personnel possédant les connaissances techniques indispensables. D'autre part, l'Association centrale crée, en 1909, une caisse mutuelle contre les accidents agricoles entre les sociétaires des différentes laiteries adhérentes.
Dès 1899, l'Association centrale organise pour transporter les beurres jusqu'à Paris un service de wagons réfrigérés ; wagons loués à la Compagnie de chemin de fer de l'Etat et aménagés. Des camions frigorifiques assurent également le transport des produits laitiers. En 1910, pour fournir la glace nécessaire aux wagons, l'Association établit une fabrique de glace à Surgères, totalement transformée par la suite (fig. 3). En 1958, après des transformations, le frigorifique est entièrement automatique et, avec un seul employé, peut fournir 5 t de glace par jour pour alimenter les wagons, les camions et un entrepôt frigorifique.
A l'origine, le petit lait ou lait écrémé, résidu de la fabrication du beurre, était destiné à l'alimentation des porcs dans des porcheries annexées aux laiteries, ou bien retourné aux sociétaires en l'absence de porcherie. Puis, l'industrie de la caséine permit de valoriser ce produit. La première caséinerie de la région fut établie à Surgères par un tchèque, Kichner, vers 1904, sous la raison sociale l'Industrie laitière. Bientôt, plusieurs usines de caséine s'installèrent dans la région, et en 1912 fut créée, sous les auspices de l'Association centrale, l'Union des caséineries coopératives de Surgères, qui s'installa en 1914 dans une usine construite spécialement pour elle à proximité immédiate de la gare de Surgères. Cette usine (cf. dossier) se chargeait de la vente de la caséine fabriquée par les laiteries adhérentes (35 dont 12 aunisiennes : Bois-Hardy, Chaillé, Clavette, Courçon, Cramchaban, Saint-Jean-de-Liversay, Saint-Mard, Sainte-Soulle, Surgères, Taugon, Vandre et Vouhé) et répartissait entre elles le produit net de la vente. Des concasseurs, des moulins et une bluterie permettaient de préparer toutes les espèces de moutures : farine, semoule, gruaux fins, moyens ou gros. De nombreux ateliers de fabrication de caséine furent bâtis dans les années 1930.
En 1938, la Charente-Maritime est l'un des plus importants départements laitiers. Il collecte 2 285 380 hl de lait par an. Avec une production de 8 000 t de beurre, il vient au 3e rang des départements après la Manche et les Côtes-du-Nord. L'industrie laitière est à cette époque dispersée entre 83 entreprises dont 60 laiteries coopératives (André FAURE et Jean-Michel DEVEAU. La coopérative laitière de Thairé d'Aunis pendant la deuxième guerre mondiale. Colloque du CNRS : les entreprises françaises pendant la deuxième guerre mondiale. Institut d'histoire du temps présent, s.d., 27 p. dactyl. (AD Charente-Maritime, br 1615).
Quelques rares laiteries fabriquent du fromage de type « camembert » dès la fin du XIXe siècle : Marans, Fontbouillant à Montguyon. Cette fabrication va s'intensifier à partir de 1940 ; durant la guerre, des fromages à 0 % de matière grasse sont fabriqués. Après les hostilités, ce marché prend encore de l'extension : pâte cuite de type « édam » fabriquée à Cramchaban, de type « gruyère » à Port-d'Envaux jusqu'en 1965, « camembert » à Chadenac. De plus, pour répondre à une demande en produits laitiers toujours plus importante, quelques laiteries à proximité de villes se spécialisent dans les produits frais, comme celle d'Aytré ou de Rochefort (lait pasteurisé, yaourts, fromage blanc). La poudre de lait est fabriquée surtout à partir des années 1950.
L'industrie du lait entraîne le développement d'activités connexes : fabrication de panier en bois pour le conditionnement du beurre, fabrique de bidons de ramassage de lait comme celle de G. Migaud à Surgères en 1958 (fig. 4). En revanche, les machines ne sont pas fabriquées dans la région ; la laiterie de Thairé avait été équipée en 1920 d'une baratte Simon de Cherbourg. Mais en général, l'équipement provient plutôt de Suède (marque Alfa), du Danemark (marque Silkeborg). Pourtant, deux séchoirs à caséine dans la laiterie de la Fontaine-des-Veuves à Saint-Pierre-de-1'Ile portent la marque des Ateliers et chantiers de La Rochelle.
Pour tenir leur place dans le commerce national et européen, s'adapter à la concurrence très vive sur les prix de revient, les coopératives de la région Poitou-Charentes ont compris la nécessité de se regrouper et de se spécialiser par production au sein d'unions et groupements. L'Association centrale comptait 80 coopératives en 1968, 62 en 1973 et 54 en 1976. De nombreuses laiteries ferment dans les années 1960. En 1987 subsistent 10 coopératives, 2 unions de coopératives et 3 négociants et un nombre d'usines limité. En fait, trois établissements rassemblent les trois quarts du lait collecté : celui de l'Union des Laiteries coopératives à Aytré (groupe Yoplait-Sodima) qui fournit en lait frais les agglomérations rochelaises et rochefortaises (230 emplois), celui de l'Union coopérative laitière d'Aunis à Surgères, celui de l'Union coopérative des caséineries des Charentes et du Poitou (135 emplois) à Surgères également. Les établissements plus petits sont souvent très spécialisés : celui du Gua (Vallée de la Seudre) dans le beurre, celui de Semussac, près de Royan, dans le fromage (Francis Anglade, Gilles Bernard, Philippe Fournet, Jean Soumagne, La Charente-Maritime aujourd'hui ; milieu, économie, aménagement, Jonzac, Publication de l'Université Francophone d'Eté, 1987, p. 151).
Implantation des usines :
La première nécessité qui détermine l'emplacement d'une laiterie est celle de l'eau. On estime que la quantité d'eau nécessaire à la fabrication du beurre et de la caséine et à l'entretien du matériel, doit être d'environ dix fois supérieure à la quantité de lait traitée journellement. On doit souvent forer des puits très profonds. La plupart des laiteries recourent à une alimentation mixte (service d'eau, forage, source). De nombreuses laiteries se sont installées sur le site d'un ancien moulin, comme celles de Grandjean, Fontbouillant à Montguyon, Isaac à Clion, Crugence à Montpellier-de-Médillan, etc. Dans certains cas, l'énergie hydraulique est utilisée pour faire fonctionner les machines comme à Fontbouillant et à Clion. Des châteaux d'eau sont édifiés dans les laiteries de Muron, Vouhé, Champagnolle (Baracot) et Pons (la Croix-Marron).
La deuxième nécessité est celle de voies de communication. Les voies d'eau étaient autrefois très utilisées dans les zones de marais pour le ramassage du lait et un certain nombre de laiteries sont, soit au bord d'une rivière, soit d'un canal : Cram-Chaban, La Ronde, Marans, Saint-Jean-de-Liversay, Taugon. En tout état de cause, elles s'installent toujours sur un emplacement bien desservi par la route, et situé au centre de leur zone d'action de manière à raccourcir les tournées journalières de ramassage du lait. Pour faciliter ensuite la distribution de la production, de nombreuses laiteries anciennes sont situées près d'une voie de chemin de fer, avec embranchement particulier : Marans, Rochefort, Surgères, Aigrefeuille, Andilly, Courçon, Saint-Jean-de-Liversay, Taugon. Certaines se sont même installées auprès de la gare comme à Matha, Burie.
Les bâtiments :
Composition d'ensemble et parties constituantes :
Les laiteries sont généralement constituées de la juxtaposition de plusieurs bâtiments, d'une façon plus ou moins ordonnée. Le corps de bâtiment principal, qui abrite au moins la beurrerie, un bureau et un laboratoire, est précédé d'un quai de réception du lait. La chaufferie est parfois intégrée au bâtiment principal, mais les cheminées d'usine ont assez souvent disparu. Une caséinerie et une fromagerie ont pu être annexées aux bâtiments d'origine ; dès lors un haloir et un atelier de conditionnement complètent les ateliers. Dès 1905, Pierre Dornic préconise d'orienter les laiteries, et de placer au nord et à l'est toutes les pièces qui demandent une température fraîche en été, et au midi et à l'ouest la salle des machines et le bureau (DESIGAUX, Charles. De la coopération dans les beurreries des Charentes et du Poitou, thèse pour le doctorat, Fontenay-aux-Roses : imp. Louis Bellenand, 1905, p. 139).
A côté du bâtiment principal s'élèvent des constructions servant d'écuries pour les chevaux, qui assurent les tournées de ramassage de lait, puis, plus tard, des garages pour les camions remplissant la même fonction. Un atelier de réparation existe généralement, tout comme un ou deux logements à destination du chauffeur-mécanicien et du directeur dans le cas d'une laiterie coopérative ; il arrive que ces logements soient abrités dans le corps de bâtiment principal. Un transformateur électrique, plus rarement un château d'eau, complètent les installations. Les porcheries sont souvent un peu éloignées de la laiterie proprement dite, et sont associées à un autre logement pour leur responsable.
La composition est généralement moins régulière et la fonctionnalité semble moins recherchée dans les laiteries de Saintonge que dans celles d'Aunis. En Saintonge, les laiteries privées, plus nombreuses, font souvent partie d'une ferme ou d'un domaine, comme celle de Fontbouillant à Montguyon, créée par Emile Brusley vers 1880, dans les bâtiments d'une ancienne tannerie (seule un haloir est bâti), ou celle de Baracot à Champagnolles installée dans une ancienne ferme, tout comme celle de Fontbouillant à Chepniers. Les bâtiments sont en général bâtis au fur et à mesure des besoins, en fonction du développement de la laiterie, sans véritable plan de composition d'ensemble.
Le bâti :
Les bâtiments des premières laiteries se différencient fort peu de ceux d'une petite ferme ; la laiterie d'Orignolles, fondée par M. Michel vers 1900, ne semble occuper que l'une des pièces de la ferme, aujourd'hui difficile à identifier (doc. 1). La coopérative de Chaillé, comme un certain nombre d'autres laiteries, est créée dans des locaux de fermes préexistants. Un bâtiment construit pour y établir une laiterie peut s'avérer très vite insuffisant ; ainsi, à Courçon, la première laiterie, édifiée dans les années 1890 - simple corps de bâtiment en rez-de-chaussée doté de neuf ouvertures -, est abandonnée au profit d'une nouvelle installation, portant la date 1912. Les toutes premières laiteries semblent d'ailleurs s'installer dans des bâtiments de moyenne dimension, en rez-de-chaussée (Cramchaban en 1890, Thairé en 1893), à l'exception de quelques-unes, qui, dès les années 1890 comme à Tonnay-Boutorme, adoptent une forme qui deviendra quelques années plus tard la caractéristique des laiteries d'Aunis surtout : le plan du bâtiment principal forme un U pour accueillir le quai de réception du lait au centre, avec logement, bureau et laboratoire de part et d'autre. Ce bâtiment possède le plus souvent un étage carré et, en élévation, le retour d'équerre forme des pavillons. Les toitures à croupes et en pavillon accentuent cette fragmentation des volumes. On retrouve cette organisation à la laiterie du Gua, celle de Néré (1896), Migré (1908), Muron (1912). Parfois cependant, le retour d'équerre n'est pas traité en pavillons, mais plutôt en ailes comme à Surgères vers 1895 ou à Belluire en 1899. Dans toutes ces laiteries, la beurrerie est située à l'arrière du quai de réception et en contrebas pour recevoir ainsi directement le lait. A l'intérieur, le sol et les murs sont revêtus de carrelages faciles à nettoyer. Cette disposition régulière, le choix des matériaux et une ordonnance soignée différencient maintenant nettement la laiterie des bâtiments agricoles, et la rapprochent au contraire des bâtiments publics : gage de prospérité et fierté de la communauté, elle se présente comme telle. Une inscription précise en général l'affectation du bâtiment. Dans quelques laiteries coopératives de Saintonge, on retrouve le plan de celles de l'Aunis : sans être en U, la laiterie de Saint-Hilaire-du-Bois est dotée d'une façade tripartite reflet des fonctions déjà décrites. Ce plan général se transforme quelque peu au fil du temps ; il semble qu'à partir des années 1910, le quai de réception du lait se trouve contre l'élévation postérieure comme à Tonnay-Charente (1911), Courçon (1912), où il est toujours encadré par le retour d'équerre. En revanche à Saint-Jean-de-Liversay (1915), comme à Aulnay (1926), le bâtiment principal adopte le plan simple d'un rectangle. A Bords (1926), les ailes en retour de l'élévation antérieure encadrent un escalier d'honneur, et le quai de réception est greffé contre la façade arrière. L'élévation antérieure, côté des bureaux et des logements, n'affiche plus alors qu'une fonction commerciale.
A partir des années 1930, le plan des laiteries s'affranchit des caractères entrevus. A la Croix-Marron à Pons, un corps de bâtiment à un étage et renfermant des bureaux précède l'atelier de fabrication en rez-de-chaussée couvert d'une terrasse. Puis, l'évolution des techniques -notamment l'utilisation de camions permettant d'agrandir les zones de ramassage -, et les regroupements des petites unités, à partir des années 1950, entraînent de grandes modifications dans les laiteries ; une grande partie d'entre elles sont, soit désaffectées, soit reconstruites, soit transformées avec l'adjonction de nouveaux corps de bâtiment (chaufferie, caséinerie, fromagerie, etc.). A ce titre, les laiteries de Surgères, Thairé-d'Aunis et du Gua sont exemplaires ; elles font l'objet d'agrandissements successifs pour répondre à de nouveaux besoins. La spécialisation de certains sites entraîne la construction de bâtiment comme les grands bâtiments d'affinage de fromage à Chadenac vers 1946 et à Thairé à la même époque.
Les murs sont généralement en moellon de calcaire enduit pour les corps de bâtiment les plus anciens, les ajouts plus tardifs sont en parpaing de béton ou en pan de métal et essentage, et les laiteries d'Aytré et de Rochefort datant des années 1940 sont en béton armé. A quelques exceptions près, où les toits sont en ardoise (Courçon, Saint-Jean-de-Liversay, Le Gua, Vervant, Asnières-la-Giraud, Migré), les autres se partagent entre toitures en tuile creuse ou en tuile mécanique, ces dernières étant plus nombreuses. Les charpentes sont en bois jusque dans les années 1940-50 où le métal est utilisé, comme à Aytré, La Ronde. En 1949, l'agrandissement de la laiterie de Villeneuve-la-Comtesse est fait entièrement en béton armé, charpente comprise.
L'ordonnance du corps de bâtiment principal varie d'une laiterie à l'autre, en fonction de leur importance et de leur époque de construction. Les laiteries de la fin du XIXe siècle et du tout début du XXe possèdent des caractères en commun. La pierre de taille est présente dans les encadrements des ouvertures, les bandeaux et les chaînages d'angle. La laiterie de Matha de 1913 se distingue par ses chaînages en brique et pierre. Le bâtiment principal est généralement doté d'un étage carré ; seules les plus petites laiteries sont en rez-de-chaussée. Des ouvertures assez grandes éclairent les locaux, et au fil du temps la tendance va à l'augmentation de leurs dimensions ; elles sont parfois regroupées par trois comme à Matha, et dans cette même laiterie, la beurrerie est éclairée par une très grande baie en plein cintre. Dans les années 1960, de grandes verrières éclairent l'atelier de fabrication de la laiterie de Nieul-lès-Saintes. A Aytré, ce sont les sheds qui apportent une grande luminosité aux différents ateliers.
Les chaufferies se distinguent des autres bâtiments par leur toit à lanterneau : à Bords en 1925, Le Gua, etc. En ce qui concerne les caséineries, dont la majorité datent des années 1930, elles se situent à proximité des bâtiments principaux ; elles sont en rez-de-chaussée sans caractères bien définis.
Il semble que les premiers bâtiments de fabrication du fromage et d'affinage sont, jusque dans les années 1940, aérés par de très petites ouvertures rectangulaires (Fontbouillant à Montguyon) ou carrés (laiterie de Souillac à Villars-en-Pons). Dans les années 1950, les bâtiments d'affinage se distinguent par des ouvertures nombreuses, étroites et hautes, permettant une bonne ventilation (Cramchaban, bâtiment à 2 étages carrés, Chadenac bâtiment à un étage).
Dans leur grande majorité, les logements annexés aux laiteries sont des bâtiments modestes. Ils sont fréquemment intégrés au bâtiment principal, et leur traitement est identique à celui de ce dernier.
Fonctionnement :
Le personnel d'une laiterie de moyenne importance comprend un directeur-comptable, un chauffeur-écrémeur, un beurrier et un contrôleur (chargé de surveiller la qualité des laits fournis et de réprimer les fraudes). En 1900, à la laiterie de Thairé, le chauffeur-mécanicien gagne 1500 F par an et est logé sur place. Le beurrier gagne 650 F par an, et le vérificateur 2 F par jour (AD Charente-Maritime, 24 J 1, 2e registre des délibérations). En outre, le ramassage du lait est assuré par un nombre variable de "laitiers". Dans les années 1930, le ramassage du lait se fait par courtiers, entrepreneurs indépendants, payés par une redevance au litre ramassé (doc. 2). Les tournées sont mises en adjudication. En 1966, on considère que 12 personnes sont susceptibles de faire fonctionner normalement une usine traitant 50 000 litres de lait par jour.
Avant l'électricité, les écrémeuses et barattes étaient entraînées par un système de courroies de transmission liées à un moteur à vapeur. Les barattes étaient en bois de teck en raison de la résistance de ce matériau. A partir des années 1950, pour le matériel moderne c'est le règne de l'acier inoxydable par souci de propreté et d'hygiène (Mémoire pour le diplôme d'études supérieures présenté à la faculté des lettres de l'Université de Poitiers par Jeanne BOUDET : L'industrie laitière en Aunis, 1958). Toutes les machines, y compris les barattes, toute la tuyauterie extrêmement développée, dans laquelle lait et crème circulent en circuit rigoureusement fermé, sont en acier inoxydable. Toutes les laiteries sont pourvues d'une installation frigorifique fonctionnant à l'ammoniaque. Toutes possèdent une chaufferie, où le mazout commence à supplanter le charbon, un groupe électrogène et un parc de camions assez important pour justifier l'existence d'un atelier de réparation. A l'intérieur, toutes les salles sont carrelées.
Pour les laiteries coopératives, le progrès technique s'est surtout manifesté au niveau de la collecte par l'utilisation des camions qui a remplacé l'usage des charrettes à chevaux et a ainsi étendu les possibilités de ramassage du lait (Jacques TERNOY, Les laiteries coopératives de la région Poitou-Charentes, s.l., 1966, p. 136.). Les techniques modernes de fabrication telles que la pasteurisation, l'utilisation de l'inoxydable, l'empaquetage automatique, le butyrateur, l'emploi du froid ont modifié en même temps les possibilités internes des usines en multipliant par 20, voire même 30, les capacités d'unités de transformation du début du siècle.
A Saint-Jean-de-Liversay, le bidonnage individuel avec laveuse a été instauré dans les années 1960, et les citernes de ramassage existent depuis environ 1980. Le beurre est encore de nos jours empaqueté en paniers en bois de peuplier fabriqués dans les Deux-Sèvres.
Les fabrications :
Le beurre :
Dès sa réception, le lait est soumis aux contrôles de la densité, de la teneur en matière grasse et de l'acidité, d'où la présence d'un laboratoire à proximité immédiate du quai de réception. Les bidons, vidés dans une cuve, sont rincés et stérilisés pour le lendemain.
Le lait est ensuite écrémé : l'écrémeuse utilise la vitesse centrifuge (environ 7000 tours/minute) permettant à la crème de se rassembler vers le centre, tandis que le lait, plus lourd, est projeté vers la paroi extérieure. Le lait donne environ 10 % de crème.
Dans le pasteurisateur, la crème est portée à 65-75° et refroidie brusquement ; les microbes dangereux sont détruits et les propriétés de la crème sont conservées. Dans le bac à crème, celle-ci mûrit pendant 24 h, ce qui développe un arôme apprécié au goût de noisette.
Dans la baratte d'une contenance de 1500 1, le beurre est lavé plusieurs fois, puis il est passé au malaxeur, qui en exprime l'eau. A partir des environs de 1955, les barattes malaxent elles-mêmes le beurre.
Le beurre est moulé en pains de 125 à 250 g et empaqueté à une cadence d'environ 50 à 80 pains par minute (en 1957). Cependant la tradition persiste et le beurre est encore parfois empaqueté en paniers en bois de peuplier fabriqués dans les Deux-Sèvres, ou moulé dans des moules en bois de teck.
La caséine :
- la caséine lactique sert à la préparation de colle et même de mortiers, en mélange avec des matières alcalines. Elle est très employée dans l'industrie du bois contre-plaqué.
- la caséine à la présure sert à la préparation de matières plastiques imitant l'ivoire, l'écaille « la galalithe ».
- la caséine alimentaire sert à l'élaboration de produits pharmaceutiques, de pains de régime et de fromages.
La caséine filante est fabriquée avec de la présure, tandis que la caséine acide l'est avec de l'acide chlorhydrique. Elle est fabriquée dans des cuves à double paroi chauffées à la vapeur (doc. 3). Puis elle est pressée et séchée (doc. 4).
De nos jours, 96 % de la caséine fabriquée est exportée vers l'Italie, le Mexique et le Japon.
Le fromage :
A la laiterie de Villars-en-Pons, les fromages s'égouttaient sur des tables en bois et sur des clayettes de roseaux ; des rigoles ménagées le long du mur conduisaient le petit lait directement à la porcherie.
La poudre de lait :
La méthode a été mise au point en 1908 aux USA. La poudre est fabriquée à partir de lait écrémé ou entier, pasteurisé dans des concentrateurs (appelés parfois évaporateurs) où il perd les 3/4 d'eau qu'il renferme. On obtient un lait concentré qu'il reste à dessécher.
Le procédé Hatmacker, mis au point vers 1900 aux Etats-Unis, consiste à sécher le lait pulvérisé sur des cylindres en rotation, élevés à une température voisine de 150°. La poudre obtenue en raclant les cylindres est utilisée pour l'alimentation du bétail.
Dans le procédé Spray, un peu plus récent que le précédent (ce procédé, utilisé à Fontpatour, La Ronde et Saint-Jean-de-Liversay, a vraisemblablement été mis au point dans les années 1910), le lait est pulvérisé dans une chambre calorifugée à l'état de brouillard (dite tour de séchage ou atomiseur) où sa chute en fines gouttelettes s'effectue dans un courant d'air chaud. Le séchage est instantané et la poudre recueillie, extrêmement fine, est parfaitement soluble. Les tours de séchage ont des formes très variées selon les fabricants (rondes, carrées ou coniques), mais elles sont toujours très vastes afin de renfermer un grand volume d'air chaud. Le procédé Spray nécessite des investissements importants, ce qui limite son utilisation aux entreprises de grandes dimensions et au niveau des Unions.
Les porcheries :
Les porcheries sont le plus souvent gérées de façon autonome, mais fonctionnent en symbiose achetant aux laiteries une partie des sous-produits de fabrication.